Claude Tillier et les Charivaris
Les dictionnaires définissent le « charivari » comme un bruit discordant accompagné de cris et de huées. En Morvan Nivernais, très en vogue au 19ème siècle, le charivari était une chanson satirique prenant pour cible une personne ayant eu une attitude scandaleuse. Ces vers éphémères étaient détruits rapidement.
L’écrivain Claude Tillier ne dédaignait pas ce mode d’expression. En décembre 1835, il est l’auteur d’un charivari dirigé contre Madame M…, la « nouvelle Némésis », tiré à peu d’exemplaires et dont le texte a disparu. Dans son journal, « L’Association » du 25 février 1841, il s’élève conte l’arrêté municipal interdisant tout charivari pendant le carnaval.
« Dans
l’arrondissement de Clamecy, le charivari n’est pas comme ailleurs une huée
politique…Les flotteurs ont le privilège presque exclusif du charivari, et ils
mettent quelquefois dans ces sortes de compositions, beaucoup d’esprit et
d’originalité. Le charivari existe de temps immémorial dans l’arrondissement.
C’est une grande joie du Carnaval ; c’est la comédie du peuple, et tout en
le faisant rire, il lui donne de bonnes leçons. C’est d’ailleurs un moyen de
répression très efficace de ces petits scandales que la loi ne peut
atteindre ; et le charivari est un auxiliaire utile en bien des occasions,
du procureur du roi. »
Or, cette année là, M. le Maire de Clamecy juge à propos de prendre un arrêté contre les
Charivarisseurs. Claude Tillier, personnifiant « Charivari », lance une savoureuse adresse au Maire de cette ville, dont voici quelques extraits.
« Est-ce bien
moi, M. le Maire, que vous avez voulu consigner aux portes de notre
ville ? Regardez-moi bien, M. le Maire, est-ce qu’il y aurait de la
poussière sur le verre de vos lunettes ? C’est moi, moi Charivari, moi le
pauvre artiste tout débraillé, tout percé par le coude, qui fais tous les ans les
délices de vos administrés. Quoi ! C’est pour de bon, M. le Maire, que je
suis proscrit…Mais qu’ai-je donc fait pour tomber dans votre disgrâce ?
Certain employé de police, me prenant pour un autre, aurait-il fait un rapport contre moi ? Aurais-je mal
parlé de M. Dupin ? Aurais-je médit du sous-préfet ? […] J’ai eu
plusieurs fois l’honneur de vous
apercevoir, et à votre physionomie, j’avais préjugé que vous étiez bon homme et
qu’avec vous, j’aurais mes coudées franches. […]
Hélas, M. le Maire, si
vous n’avez pas pitié de moi, ayez pitié de mon pauvre ami Carnaval.
Si vous saviez comme
le pauvre garçon est triste de ma disgrâce ! Il se couche à huit heures et
demi, et il est quelquefois dix heures du matin, qu’il n’a pas déjeuné. Quand
il se présentera dans votre ville avec son masque hâve et décharné, vos
administrés le prendront pour Carême. Je dois vous le dire, M. le Maire, pour
que vous mettiez fin à ces bruits : il répand partout des bruits
calomnieux contre votre personne ; il prétend que ce n’est pas de
l’embonpoint, c’est de la ouate piquée que vous avez sous l’épiderme. […]
Tout petit que je
suis, j’ai mon utilité comme vous avez la vôtre. Je suis le censeur des mœurs
publiques, le croque-mitaine des maris qui s’enivrent et des femmes qui battent
leurs maris ; pour le petit scandale que je donne à vos administrés, je
leur en épargne un gros, et qu’il y a sous ce rapport économie à me laisser
vivre.
Vous dites, vénérable
autorité constituée, que j’ai mauvais ton. Qui vous a dit qu’un ton fut
meilleur qu’un autre ? Parbleu, j’ai le ton du peuple parmi lequel je suis
né ; et vous savez bien que je ne puis en avoir un autre. Vous ne nous
payez pas à nous, un collège où nous puissions apprendre les belles manières et
le beau langage. […]
M. le Maire, ne pensez
pas m’intimider en mettant sur le pied de guerre vos valets de la ville, votre
commissaire de police, et les moustaches de votre commandant de place. Si vous
m’attaquez avec votre cachet, je me défendrai avec ma marotte. Je suis
français, moi, M. le Maire ; vivre en chantant ou mourir en combattant,
voilà mon ultimatum.
Agréez, etc.
Des réclamations ayant été adressées par un grand nombre de personnes intéressées à la conservation du Charivari, M. le Maire daigna retirer son premier arrêté et en fit publier un nouveau rétablissant « Charivari » dans la plénitude de ses droits…